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lundi 23 avril 2018

La relaxation musculaire progressive en gériatrie

La pratique de thérapies non médicamenteuses pour les maladies neurodégénératives pose régulièrement la question de son efficacité sur les troubles du comportement. C'est d'ailleurs la question récurrente que tout médiateur thérapeutique devrait poser ; tu fais un atelier relaxation/bien-être c'est très bien mais :
  • pourquoi ?
  • pour qui ?
  • comment ?
  • quel objectif ?
  • ... ?
Ne sont-ce pas les règles du jeu en institution ? Dans ce cas, il est fort intéressant d'y jouer et puis ça fait grandir.

Avant de se lancer dans le bain, un petit rappel sur l'existence d'un outil standardisé pour évaluer les troubles du comportement les plus fréquents chez les personnes âgées (le NPI-ES qui est the ultimate tool of the perfect gerontopsychologist). Grâce à cet outil, le psychologue peut, s'il sait s'en servir,
  • communiquer lors des échanges pluridisciplinaires quant à la question de proposer une orientation en PASA ou en UHR
  • évaluer les effets d'un neuroleptique
  • évaluer les effets d'un changement de milieu de vie
  • évaluer les effets d'une thérapie non-médicamenteuse
  • participer à la valorisation financière du temps soignant et de la charge de travail (et oui, car le NPI-ES participe au calcul de l'indice PATHOS)
  • se rendre compte que le boulot d'aide-soignant c'est... parfois périlleux
  • faire valoir les observations des AS et IDE en leur donnant la parole
  • former les équipes de manière insidieuse sur les troubles du comportement (notamment les distinctions délires/désorientation ; agnosie/hallucination ; apraxie de l'habillage/désinhibition etc.)
Partant de cela, deux chercheurs japonais (Ikemata & Momose, 2017) ont démontré que la pratique quotidienne (15' par jour) de la relaxation progressive de Jacobson en gériatrie avait des effets bénéfiques sur certains troubles du comportement ! Le tableau ci-après est très explicite.


Les astérisques indiquent des différences statistiquement significative entre les scores. Dans ce cas, le score total du NPI-ES, le sous-score d'agitation et d'anxiété est inférieur durant l'intervention. Les activités de vie quotidienne sont améliorées tout comme les items d'intérêts, volition et relations sociales. Par contre, ils n'ont pas réussi à démontrer l'efficacité de la méthode sur l'activité du système immunitaire via la mesure de la sécrétion de l'immunoglobuline A (S-IgA).

Voila une étude fort intéressante sur laquelle il est possible de s'appuyer pour un projet institutionnel de prise en charge des troubles du comportement.
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Ikemata, S., & Momose, Y. (2017). Effects of a progressive muscle relaxation intervention on dementia symptoms, activities of daily living, and immune function in group home residents with dementia in Japan. Japan Journal of Nursing Science. doi:10.1111/jjns.12147

jeudi 29 juin 2017

Trouble du comportement perturbateur (la suite)

Les éléments déclenchant l'agressivité chez cet homme sont divers et paraîtront anodins.

Effectivement, le simple fait de le questionner d'un "Pourquoi avez-vous sonné ?" est vécu comme une agression. Il se sent obligé de se justifier d'une chose qu'il ne se rappelle pas avoir faite. Sa défense restant l'attaque, il défonce la porte ouverte de la communication et surprend l'interlocuteur maladroit.
Dans cette situation, il serait donc préférable de lui poser des questions fermées. "Avez-vous besoin de quelque chose ?" Formulation valorisante, presque neutre et bienveillante. Oui, non, merci, au revoir.

L'équipe a aussi repéré une chose fort intéressante.
M. : - Je veux [...] tout de suite. Je ne devrais pas vous le demander, je vous paie pour ça.
AS : - Oui mais vous avez aussi besoin de moi.
Et le patient s'est aussitôt adouci. Cette occurrence, simple mais étonnante d'efficacité me laisse pantois : Avoir aussi besoin d'un autre.


Attention ça pique car des fois Lacan m'habite
Avoir besoin c'est avoir un manque. Besoin de l'autre, normalement c'est manquer de ce que l'autre, un être humain et pensant, peut apporter sur le plan imaginaire (consolation, réassurance, affection, amour etc.) n'est-ce pas Lacan ? Or, dans une telle situation d'exigence effrénée générant des tensions, il me semble que l'agent opérateur du manque (le soignant) n'est pas perçu comme un objet imaginaire mais comme un objet réel de soignant-objet, soignant-outil. Bref un truc matériel, pourvoyeur invétéré de services et constamment disponible quand on tape dessus. D'où l'intolérance à la frustration.

Pour éclaircir ce jargonnate :
"Qu'est-ce-que tu viens m'emmerder ? J'appuie ici et tu me donnes mon goûter. C'est pas compliqué."
Le soignant-objet c'est un peu comme le chien de Descartes, il est dépourvu de sensibilité. Tout est dans l'intensité du coup de pied qu'on donne.

Je reprends donc : avoir besoin de moi. N'y aurait-il pas une contradiction mon cher Lacan ? Le moi n'est pas réel (ce n'est pas palpable), il ne peut qu'être imaginaire (je suppose que mon soignant préféré est pourvu d'une personnalité et d'une intentionnalité). Et si finalement cette occurrence invitait le patient à imaginer et par là-même transformer son besoin en demande ?

A suivre... qui sait ?

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Lacan, J. (1994). La relation d’objet. Le séminaire, Livre IV (réédition). Paris: Le seuil
Le Caravage (vers 1803). L'incrédulité de Saint-Thomas [huile sur toile]. Potsdam: Palais de Sanssouci

mardi 27 juin 2017

Trouble du comportement perturbateur

L'agressivité, l'irritabilité et l'instabilité de l'humeur font partie des troubles du comportement perturbateur présent chez les patients souffrant d'une maladie neurodégénérative. Je suis effectivement sollicité par une équipe à ce sujet.

Leur problématique est la suivante. Il agresse verbalement soignants et résidents, exige être servi en premier et chapote les voisins, retourne les situations à son avantage et peut se sentir persécuté.
 - Comment se comporter avec lui ?
 - Qu'est-ce qu'on peut faire pour le canaliser ?


Je m'entretiens avec lui. Il s'agace spontanément en moins d'une minute, admet se mettre en colère quand il estime cela nécessaire et tente de m'intimider ce qui n'a aucun effet. Il n'est pas en mesure d'étayer les situations de colère car le trouble mnésique est bien présent et adapte son propos à cette difficulté. Il donne le change et finit par interrompre l'entretien par une attitude de retrait et de fermeture non verbale.

Difficile de travailler en différé avec lui. Retour à l'équipe soignante avec clins d'œil.
- Le gauche pour la gestion du conflit (v. Evelyne Josse) : à partir de maintenant, dès que la situation est conflictuelle : maintenir une attitude assurée et soignante (ie bien crampées dans les chaussures et non défiante), plus il hausse le ton de sa voix et plus vous baissez le votre.
- Le droit pour la HAS : identifier toute les situations où il a pu se mettre en colère et repérer les réactions soignantes efficaces.

A suivre... les yeux fermés.

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HAS (2009). Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : prise en charge des troubles du comportement perturbateurs. Recommandations de bonne pratique.

Le Caravage (1599-1602). Judith décapitant Holopherne [détail ; huile sur toile]. Rome: Galerie nationale d'art ancien.

jeudi 30 mars 2017

Et ta démence, elle se transcrit comment ?

Une revue de questions (Delgado-Morales & Esteller, 2017 ; disponible sur ce lien) vient de paraître concernant les processus neuroépigénétiques impliqués dans les principales maladies neurodégénératives (maladies d'Alzheimer et de Parkinson, démences à corps de Lewy et fronto-temporales). Celles-ci sont considérées par les auteurs comme émergeant d'un spectre de troubles cognitifs. Ils rappellent que l'âge est le facteur de risque le plus important pour ces maladies. En conséquence de cause, leurs incidences respectives vont se majorer avec l'accroissement de l'espérance de vie.


Par exemple, l'accumulation de béta-amyloïdes censé être un indicateur de maladie d'Alzheimer est aussi observée dans la démence à corps de Lewy. Il en est de même pour l'hyperphosphorylation de la protéine Tau et l'inclusion d'alpha-synucléine retrouvées dans la maladie d'Alzheimer, la maladie de Parkinson et la démence à corps de Lewy !


En quoi est-ce étonnant ?
Nous sommes bien loin de la facile et nette distinction entre pathologies sur la base moléculaire ! C'est pour ça que les autopsies post-mortem trouvent autant de mixité moléculaire ! Malgré leurs différences sur le plan clinique, elles ont en commun des altérations au niveau moléculaire. C'est à dire que le processus pathologique est identique dans un premier temps et qu'il diverge et se spécifie au fur et à mesure de la progression de la maladie. L'hypothèse retenue par les auteurs (LEARn) est que des altérations épigénétiques au cours de la vie pourrait perturber la transcription à long terme de certains gènes. Le cumul de ces altérations serait comme une graine des maladies neurodégénératives.

Et puis quoi encore ?
Comme dans beaucoup d'étude, il faut poursuivre les recherches. Et bien poursuivez car c'est passionnant !

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Sources :
Delgado-Morales, R., & Esteller, M. (2017). Opening up the DNA methylome of dementia. Molecular Psychiatry, 22, 485-496.

mardi 20 décembre 2016

Se faire violence dans le soin

Je rebondis sur un article de Ciccone (2009) intitulé "Faire violence sous prétexte de soigner". Article parcouru pour étayer une situation où l'équipe risque l'épuisement face à un patient désinhibé, impulsif, agressif et autoritaire avec dans ses antécédents une bipolarité et une personnalité paranoïaque. Je serai presque tenté de renommer l'article avec un réflecteur de la troisième personne mis entre parenthèse : "(Se) faire violence sous prétexte de soigner."

"Ce n'est plus un humain, on dirait un animal... Je n'en peux plus, il va nous rendre folle."

L'autre n'existe plus. Seule l'expression de la pathologie est perçue.

Il faudrait très certainement y voir l'affect de honte des soignants que Ciccone origine lors de la rencontre avec la pathologie. D'après lui, la honte provient d'une confrontation entre l'horreur du handicap, de son inhumanité et de l'idéal professionnel. Comme M. est opposant ou autoritaire, c'est selon, il est presque impossible de le satisfaire pleinement et par là même pour les soignants d'être satisfaits de leur soin. Le risque dans ce cas est de voir émerger la haine et la rétorsion du soignant à l'égard de cet homme. Je crains que certains membre de l'équipe non qualifiés aient déjà basculé dans la rétorsion pour répondre à la violence que fait vivre le patient.

Une force est à souligner toutefois, l'équipe est solidaire et est dans la recherche de l'élaboration car me sollicite régulièrement. "Seule l'élaboration suffisante de la haine permet que la réponse du soignant soit une réponse aux besoins du patient" (Ciccone, 2009). D'où la nécessité, même en EHPAD (annexe de la gériatrie), d'une supervision d'équipe régulière.
Il faut dire que Ciccone était là au bon moment car je commençais à être moi-même sidéré par l'effroi et l'impossible soin à donner.


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Arcimboldo, G. (1573). L'hiver [huile sur toile]. Paris: musée du Louvre.
Ciccolo, A. (2009). Faire violence sous prétexte de soigner. In S. Korff-Sausse (ed) La vie psychique des personnes handicapées (pp 197-205). érès