Affichage des articles dont le libellé est Relation de soin. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Relation de soin. Afficher tous les articles

jeudi 29 juin 2017

Trouble du comportement perturbateur (la suite)

Les éléments déclenchant l'agressivité chez cet homme sont divers et paraîtront anodins.

Effectivement, le simple fait de le questionner d'un "Pourquoi avez-vous sonné ?" est vécu comme une agression. Il se sent obligé de se justifier d'une chose qu'il ne se rappelle pas avoir faite. Sa défense restant l'attaque, il défonce la porte ouverte de la communication et surprend l'interlocuteur maladroit.
Dans cette situation, il serait donc préférable de lui poser des questions fermées. "Avez-vous besoin de quelque chose ?" Formulation valorisante, presque neutre et bienveillante. Oui, non, merci, au revoir.

L'équipe a aussi repéré une chose fort intéressante.
M. : - Je veux [...] tout de suite. Je ne devrais pas vous le demander, je vous paie pour ça.
AS : - Oui mais vous avez aussi besoin de moi.
Et le patient s'est aussitôt adouci. Cette occurrence, simple mais étonnante d'efficacité me laisse pantois : Avoir aussi besoin d'un autre.


Attention ça pique car des fois Lacan m'habite
Avoir besoin c'est avoir un manque. Besoin de l'autre, normalement c'est manquer de ce que l'autre, un être humain et pensant, peut apporter sur le plan imaginaire (consolation, réassurance, affection, amour etc.) n'est-ce pas Lacan ? Or, dans une telle situation d'exigence effrénée générant des tensions, il me semble que l'agent opérateur du manque (le soignant) n'est pas perçu comme un objet imaginaire mais comme un objet réel de soignant-objet, soignant-outil. Bref un truc matériel, pourvoyeur invétéré de services et constamment disponible quand on tape dessus. D'où l'intolérance à la frustration.

Pour éclaircir ce jargonnate :
"Qu'est-ce-que tu viens m'emmerder ? J'appuie ici et tu me donnes mon goûter. C'est pas compliqué."
Le soignant-objet c'est un peu comme le chien de Descartes, il est dépourvu de sensibilité. Tout est dans l'intensité du coup de pied qu'on donne.

Je reprends donc : avoir besoin de moi. N'y aurait-il pas une contradiction mon cher Lacan ? Le moi n'est pas réel (ce n'est pas palpable), il ne peut qu'être imaginaire (je suppose que mon soignant préféré est pourvu d'une personnalité et d'une intentionnalité). Et si finalement cette occurrence invitait le patient à imaginer et par là-même transformer son besoin en demande ?

A suivre... qui sait ?

-----------------------------------------------------------------
Lacan, J. (1994). La relation d’objet. Le séminaire, Livre IV (réédition). Paris: Le seuil
Le Caravage (vers 1803). L'incrédulité de Saint-Thomas [huile sur toile]. Potsdam: Palais de Sanssouci

mardi 20 décembre 2016

Se faire violence dans le soin

Je rebondis sur un article de Ciccone (2009) intitulé "Faire violence sous prétexte de soigner". Article parcouru pour étayer une situation où l'équipe risque l'épuisement face à un patient désinhibé, impulsif, agressif et autoritaire avec dans ses antécédents une bipolarité et une personnalité paranoïaque. Je serai presque tenté de renommer l'article avec un réflecteur de la troisième personne mis entre parenthèse : "(Se) faire violence sous prétexte de soigner."

"Ce n'est plus un humain, on dirait un animal... Je n'en peux plus, il va nous rendre folle."

L'autre n'existe plus. Seule l'expression de la pathologie est perçue.

Il faudrait très certainement y voir l'affect de honte des soignants que Ciccone origine lors de la rencontre avec la pathologie. D'après lui, la honte provient d'une confrontation entre l'horreur du handicap, de son inhumanité et de l'idéal professionnel. Comme M. est opposant ou autoritaire, c'est selon, il est presque impossible de le satisfaire pleinement et par là même pour les soignants d'être satisfaits de leur soin. Le risque dans ce cas est de voir émerger la haine et la rétorsion du soignant à l'égard de cet homme. Je crains que certains membre de l'équipe non qualifiés aient déjà basculé dans la rétorsion pour répondre à la violence que fait vivre le patient.

Une force est à souligner toutefois, l'équipe est solidaire et est dans la recherche de l'élaboration car me sollicite régulièrement. "Seule l'élaboration suffisante de la haine permet que la réponse du soignant soit une réponse aux besoins du patient" (Ciccone, 2009). D'où la nécessité, même en EHPAD (annexe de la gériatrie), d'une supervision d'équipe régulière.
Il faut dire que Ciccone était là au bon moment car je commençais à être moi-même sidéré par l'effroi et l'impossible soin à donner.


-----------------------------------------------------------------------------
Arcimboldo, G. (1573). L'hiver [huile sur toile]. Paris: musée du Louvre.
Ciccolo, A. (2009). Faire violence sous prétexte de soigner. In S. Korff-Sausse (ed) La vie psychique des personnes handicapées (pp 197-205). érès

lundi 30 mai 2016

Refus de soins

Sur le bureau traîne un dossier ayant trait à une question éthique très fréquente auxquelles sont confrontées régulièrement les soignants. Il s'agit de l'opposition aux soins, du refus de soin ou encore du négativisme.

Concrètement, je m'aperçois qu'un tel problème est latent de nombreuses situations dites conflictuelles dans la relation soignant-soigné et peut vêtir de nombreux apparats :
  • agressivité du patient (propos insultant, attaque physique ou défense physique visant l'éloignement du soignant)
  • plaintes continuelles du patient
  • souhaits contradictoires avec la fonction du soignant
  • désir de mort exprimé ou non
  • repli sur soi
  • non participation du patient lors des soins
  • perte d'autonomie...
Vous entendrez sûrement la pluripathologie neuro-psycho-somatique, psycho-neuro-somatique, somato-neuro-psychologique ou somato-psycho-neurologique de ces situations de santé. Mais vous sentirez d'autant plus la frustration d'être confronté à ce "mauvais" patient qui ne joue plus le rôle théorique et désastreux que tout soignant attend de lui c'est à dire d'attendre, de souffrir mais de ne pas se plaindre.

Etre confronté à cela sous-tend une adaptation du soignant face à une attitude vécue comme agressive car ne correspondant pas à l'axiome du soin. La relation devient ainsi compliquée, chacun se retranchant dans ses positions déclarant un état de siège mutuel. Si le climat perdure ou s'aggrave c'est à dire si le patient est suffisamment fort pour ne pas céder son territoire et son bout de gras, il est fait appel à un enchanteur, un paysagiste, un négociateur, un professionnel de la suggestion, de la communication, un régulateur, un salvateur, un rebouteux, un extra-terrestre... bref à un psychologue. Qu'est-ce que le corps soignant attend de lui dans un pareil cas ? La plupart du temps, une réponse toute faite, une solution et peut-être de conformer le patient à un idéal. Le psychologue fort d'un réalisme frisant le défaitisme est donc pris à parti entre des souhaits contradictoires, la volonté d'apporter un peu de sérénité dans les rapports humains, de porter le discours du patient récalcitrant à une équipe épuisée, usée qui ne sait plus quoi faire car la souffrance éthique est là au quotidien. Le psychologue est là entre deux parties en souffrance aigüe. Le lien entre elles est presque rompu.

Le psychologue rentre dans son bureau et commence à étudier la demande, ses tenants et ses aboutissants. Il va s'entretenir avec le patient qui n'en peux plus de vivre, s'est perdu quelque part dans le temps où il avait confiance en lui, où son sentiment d'efficacité personnelle était acceptable. Effectivement, une hospitalisation pour syndrome de glissement, dépression, bref une déchéance est arrivée mais lui aurait voulu rester chez lui, pour y finir ses jours. Il a donc été arraché de ce marasme confortable et a vécu ce déracinement comme un acte de violence. Le temps a passé et la question s'est posé que devons-nous faire de ce patient, célibataire endurci, sans descendance ? Une mise sous tutelle puis un placement en EHPAD est préconisé. Lui, était d'accord, de toute façon résigné et apathique.


"Je voudrai qu'on me foute la paix. Je n'ai pas envie de me lever le matin, je veux dormir tranquille. Je veux mourir, c'est finit pour moi."


Le psychologue est confronté pour la première fois à un patient qui exprime aussi clairement son détachement. Il se débat physiquement contre la vie en lui, bientôt 93 ans, une énergie incroyable et débordante. Le résistant de 39-45 est là. Un (insipide) MMSE à 28/30, c'est rare !
Le psychologue, éternel débutant, n'est pas plus avancé. Comment ce patient veut-il refuser ce qu'il a de plus précieux en lui ? C'est du sabordage ! Quel sens cela peut-il avoir ? Il retourne sa pulsion de vie contre lui-même, c'est un suicide camouflé. Ainsi, le psychologue est embarqué avec l'équipe dans un mouvement intolérable pour lui-même, et vit par procuration la frustration de l'équipe. Le psychologue monte sur les épaules de son idole. Que dirait la voix d'Ameisen, suave, délicieuse et rassurante ? Va chercher ! Dans son bureau, il ressort les avis publiés par l'ancien espace national de réflexion éthique sur la maladie d'Alzheimer (aujourd'hui EREMAND) et du comité consultatif national d'éthique (CCNE). Il se décide à organiser une réflexion éthique avec l'équipe dont les objectifs seraient de trouver un compromis entre les souhaits du patients et les souhaits des soignants, mais avant de comprendre la position de soignant, de comprendre le vécu du patient qui au fond n'accepte probablement pas sa perte d'autonomie et surtout son placement en EHPAD...

La réflexion est menée : la situation ne pose pas un si grand problème que cela. Depuis quelques temps, le patient prend des initiatives et s'ouvre avec plaisir à la communication (moment des repas). Finalement la situation s'arrange doucement, il est décidé d'adapter le plan de soin et de ne pas lui proposer une toilette complète en systématique, juste de se contenter d'une toilette intime quotidienne et nécessaire. Les deux camps ont finalement ouvert des portes et des liens se sont été créés pour un projet mutuel. Serait-ce du soignant-soignant ?


______________________________________________________________________________
Sources :
Ferrey, G, & Taurand, P. (2012). Oppositionnisme, négativisme et attitudes de refus du sujet âgé. Place du refus de soin. EREMA.
Quignard, E. (2011). Le refus de soins en gériatrie. EREMA.
Robert, H. (1797). Cascade sous un pont en ruine [huile sur toile]. Tours: musée des beaux-arts.
Taurand, P. (2010). Maladie d'Alzheimer et renoncement. EREMA.