Le bonheur est présenté non seulement comme une promesse pour surmonter sa souffrance, mais aussi de voir ses expériences comme des opportunités pour se renforcer. (...) [Le culte du bonheur créé] de nouvelles hiérarchies émotionnelles où ceux qui râlent, ceux qui sont en colère, sont "pathologisés", vus comme des gens dont il faudrait se débarrasser. Il y a une privatisation de la souffrance sociale.
Professeur Illouz fait un parallèle entre l'idée du bonheur et le néo-libéralisme ambiant. Cette thèse expose d'abord le fait que la souffrance sociale (souffrance infligée par la société aux membres vulnérables par le biais de plusieurs facteurs : l'emploi, le logement, l'accès à la santé, l'accès à la scolarité etc.) risque d'être cantonnée dans l'intimité de la cellule familiale ou d'un bureau de psychologue au détriment de son expression sociale. Le second apport de cette thèse est de souligner la corrélation existant entre le bonheur et la productivité en entreprise : des salariés heureux produisent mieux et sont rentables.
Les souffrances individuelles aux bancs de la vie sociale ? Effectivement cette thèse vise une pratique précise de la psychologie positive, du management positif où il est question du culte du bonheur et où les épreuves de la vie sont des opportunités de construire son bonheur. Il est en fait visé le mésusage des techniques de thérapies brèves dans la société ainsi que leur marchandisation ; le bonheur étant fixé au rang de valeur à atteindre au niveau social et professionnel.
Mais à quel prix ? La crainte de Pr. Illouz est que l'expression des émotions négatives soient bannies et que les individus se sentent coupables de leur souffrance et soient donc marginalisés et vulnérabilisés par la société et plus précisément par les groupes sociaux d'appartenance (travail, loisirs etc.). Cela est effectivement dommageable et je rejoins Pr. Illouz dans cette perspective : le culte du bonheur est un terme fort et implique des injonctions au détriment du reste, des autres et surtout de soi ; cela implique la recherche de l'uniformité sociale et le lissage des comportements humains
"Comment ça va ?
- Ca va... ça va, ça va..."
Il est de même pour les injonctions suivantes aussi véhiculées par le monde social :
* sois mince
* sois fort
* sois beau
* sois désirable
* sois fier
* sois intelligent
* sois intéressant
* sois parfait
* sois sage
* sois soigné
* sois libre
* sois efficace
* sois rapide
* sois performant etc etc.
Tout autant d'impératifs culpabilisants (de dictat ?). Mais il en existe chez les anti où il est fait l'éloge de lenteur, du malheur, de la paresse et du carburateur etc. La thèse des antis peut être aussi extrême que celle des partisans, was'nt it ?
Néanmoins, il n'a jamais été autant question de santé psychique qu'aujourd'hui c'est dire la place qu'offre la société au mieux-être psy. Les méthodes pour "aller mieux" font foisons et sont d'une aide précieuses (contre les peurs, pour la confiance en soi, l'estime de soi, l'affirmation de soi, l'autorisation de soi). Si les individus d'une société consomment autant de livres et de conférences sur le bonheur, c'est qu'il y a une demande forte et ce n'est pas une niche dans le système !
Mais si c'était le système (néo-libéral) qui créait la demande ? Professeur Illouz semble étayer cette hypothèse dans ses travaux ce qui est très intéressant. Mais le sentiment d'impuissance provoqué par cela qu'est ce qu'on en fait ? Qui crée les demandes, les besoins, les envies, les goûts, la mode etc. ? Coca-Cola et son indice du bonheur ? Pointer le mal du doigt est un premier pas et après ? Quelles cartes possèdent les membres d'une société pour accéder au-dit bonheur et exprimer leur souffrance ?
Enfin la quête du bonheur est une recherche de l'acceptation de soi. Au final, si un individu est au clair avec son irascibilité et qu'il ne souffre pas et si un individu n'est plus hanté par ses peurs, ses croyances limitantes, ses psychotraumatismes pourquoi blâmer le travail qu'il a fait sur lui ? Si ces individus souffrent moins ou ne souffrent plus ou acceptent leurs failles pourquoi les blâmer ? Et si ces individus sont heureux au travail, en famille et ailleurs ?
Sois heureux point barre ou la tyrannie du bonheur m'apparaît exagéré (et cela n'engage que moi) sans parler du "culte du bonheur".
Finalement entre le droit au bonheur ou le devoir de bonheur, où sont les limites ?
Est-il interdit de conjuguer le bonheur ?
Qu'en est-il du bonheur transculturel ou interculturel ?

