De la colère.
Hier, France Inter ''fêtait'' les 10 ans des enfants du canal qui est une association qui lutte contre le mal-logement. Les directs se passaient place de la République devant un auditoire de "mal-logés" semble-t-il. L'association en question, pour son anniversaire distribuait aux sans-abris des postes de radios/lampe de poche à dynamo et énergie solaire... Or, comme le disait très justement Augustin Legrand, fondateur des enfants de don Quichotte, "distribuer des radios, c'est pour distribuer la parole mais ça ne sert à rien, on le sait" (matinale de Cohen).
"Mettez-vous au chaud Léa Salamé" concluait maladroitement Cohen à 7h50. Effectivement ça devait cailler grave place de la République à l'aube de cet anniversaire, d'autant plus quand on est enceinte. Une chambre d'hôtel de libre où il est interdit de manger suffirait peut-être à satisfaire un besoin de logement, un besoin de foyer ? Malheureuse illusion de la naissance du sentiment d'être logé.
Au renforcement des stigmates.
Et puis la goutte d'eau qui fait déborder le vase de la colère c'est l'émission de Vanhoenacker. Emission que j'apprécie pour son humour décalé mais qui hier était trop décalé. "Peut-on rire de tout ?" était proposé comme éternel sujet de conversation à l'invité (Jérémy Ferrari). Sa réponse était intéressante car il parvenait à dire que des sujets graves comme les attentats de Paris n'étaient pas drôles pour une victime de ces attentats. Alors que selon lui les "handicapés" trouveraient très drôle les sketchs les concernant en tant qu'objet de rire. Paradoxe à part, il me semble qu'il y ait un niveau différent d'impact de l'humour entre je fais un sketch sur les stéréotypes du handicap (finalement ça ne concerne personne en particulier) et je fais un sketch sur une victime des attentats de Paris et sur ce que cette victime bien ciblée à vécu précisément et personnellement (finalement ça concerne directement une personne qui n'est certes pas cité mais qui, elle et sa famille se reconnaissent). Être personnellement l'objet du rire n'est pas drôle et il me semble que la catharsis de l'humour trouve ses limites dans cette condition précise car elle remet à mal un équilibre psychique déjà traumatisé. Je m'égare...
Et quand je ne sais plus quel intervenant de l'émission (Vizorek ou Meurice) interpellait le public pour chauffer la salle en leur balançant "comment ça va les pauvres ?" et ce, à plusieurs reprises, ce fut le comble du mauvais goût.
Rappelons-nous du modèle processus de précarisation de Paugam (1991) : "la précarité est une fragilisation sociale qui se déploie sur un continuum allant de l’intégration à l’exclusion." La première étape de ce processus est la stigmatisation, "moment où la personne accepte d’être désignée comme pauvre par les institutions officielles". C'est donc se définir comme pauvre, en porter la marque à l'échelle de la société pour ne plus être reconnu de prime abord comme un être humain, un citoyen. C'est une étape de la mise en écart et se faire interpeller à la radio en tant que pauvre vient renforcer ce stigmate et je m'interroge de comment le public a pu vivre cela.
Si je devais résumer ce qui est dit (communiqué) ça serait :
Je t'offre une radio, ça ne sert à rien sauf à distribuer la parole, une parole stigmatisante pour ne pas que tu (on ne te vouvoies plus de toute manière) oublies ce que tu es devenu et ce que tu vas malheureusement rester. Et les pauvres ne sont pauvres qu'à Noël, ça se sait ça !
Le mauvais goût et les maladresses médiatiques ont encore un bel avenir devant eux.
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Paugam, S. (1991). La disqualification sociale. PUF, Quadrige.
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Paugam, S. (1991). La disqualification sociale. PUF, Quadrige.
