vendredi 26 août 2016

La rentrée, un rite de passage ou un deuil des vacances ?

La rentrée scolaire approche à grand pas et comme chaque année nous subissons notre lot de marronnier journalistique (la rentrée des classes, les fournitures scolaires, les bons plans, la fin des vacances, ceux qui les prolongent etc.). Cette année, c'est malheureusement l'occasion d'aborder cette ritournelle sous un angle différent, celui du terrorisme et du risque d'attentats. Comment préparer nos plus jeunes à une intrusion armée ? Et cette obligation dérangeante mais nécessaire de simuler une attaque armée dans une école.


Je reviens vers le fond de la rentrée des classes. La forme est appelée à changer, c'est son rôle propre, la preuve cette année. Quant au fond, il est plus empreint d'éternité, de routine rassurante et ronronnante. Il a plus trait au rite qu'à l'évènement. La rentrée des classes marque un passage d'un avant (les grandes vacances autrefois associées aux travaux agricoles) et d'un après (le retour à l'instruction) accompagné de comportements préparatoires autant physique (reprendre le rythme, acheter du matériel, s'installer dans son nouvel appart') que mental (c'est la fin des vacances et donc la perte de ce mode de vie ; faut-il y voir un deuil ?).

C'est aussi la rentrée littéraire, la rentrée politique et au travail alors ?


On prépare une rentrée symbolique : on reprend les projets arrêtés, on en lance de nouveaux, la cadence va battre son plein et le système institutionnel reprendre sa marche... jusqu'à la nouvelle année et l'été suivant. N'est-ce pas rassurant au final et n'est-ce pas confortable ? Comme ces rites se produisent d'année en année, il n'y a pas de deuil possible puisqu'il n'y a pas de perte définitive.

"C'est les vacances je suis content" (ou pas, tout dépend !)
"Je reprend le travail, ça fait mal" (ou pas, tout dépend !)
"J'anticipe mes prochaines vacances" (ou pas, tout dépend !)

C'est un peu le caché-coucou des adultes pour reprendre un exemple de Cyrulnik ayant trait à la construction de la conscience de la mort chez l'enfant.

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- Cyrulnik, B. (2001). De la conscience de soi à la spiritualité. In P. Picq & Y. Coppens, Aux origines de l’humanité T2 - Le propre de l’homme. Fayard.
- Renoir, A. (1881). Marronnier en fleurs [huile sur toile]. Berlin: Staatliche Museum.
- Wilder, B. (1960). The appartment. Mirisch Company

lundi 25 juillet 2016

Une question de l'enfer

Il est un endroit au Mexique appelé Naïca à la fois éphémère et éternel.


Y travaillent dans des conditions terribles des mineurs car on y exploite de l'or, de l'argent et du plomb dans une atmosphère suffocante et moite. L'air y est tellement vicié et incompatible avec la santé que les ouvriers ont un roulement de deux heures. On descend au plus bas dans la terre à 800 m. de profondeur. Pas de chevaux pour tracter les chargements mais des machines car Germinal est derrière mais pas trop loin non plus. Des explosions, des vibrations rythment la journée de travail...
La vie humaine y est éphémère car le bourg adjacent à la montagne ne sera qu'un fantôme livré au chômage et à la migration dans un futur à venir. Il ne restera que des échoppes vide surmontés de slogans américains.


Eternelle car dans le sein de cette montagne d'apparence endormie a été découvert par deux frères mineurs plusieurs cavités exceptionnelles, telles d'immenses géodes. Chacune d'entre elles même imparfaites soient elles ont eu un intérêt scientifique important. Une en particulier, baignée dans une nappe riche en minéraux et chauffée à une température précise par le magma sous-jacent a formé au fil des siècles des cristaux géants de gypse, du jamais vu jusque-là ! Les plus grands cristaux du monde ne dépassaient pas le mètre, les plus grands de ceux-là et aussi les plus anciens en font 13 de long !


Impossible de rester longtemps dans cette géode sans y laisser la vie : 50°C. et 95% d'hygrométrie sont incompatibles avec notre nature. Une combinaison rafraîchissante et un système de respirateur est nécessaire.

Les cristaux de gypse sont une mémoire des 500.000 dernières années de la région car ils referment des pollens et des micro-organismes. Fascinant de beauté et combien fragiles, les chercheurs s'empressent de recueillir le plus d'éléments possible avant que la mine ne soit fermée. Pas de tourisme pour ne pas dégrader ce lieu. Quand les mineurs rentreront chez eux, la géode poursuivra sa croissance au fil des siècles à l'ombre de l'humanité dans un bain d'eau thermale.

Un joyau titanesque qui naît dans un environnement hostile et qui à mes yeux est une allégorie de la relation de soin. Derrière la symptomatologie se cache un être sensible qui s'oublie lui-même mais qui mérite toute notre attention.

mardi 28 juin 2016

Du rôle fondamental de la psychose dans la société vers une autre entité diagnostique

Pour faire écho à l'article de Clément Guillet (sur Slate.fr), un petit mot sur les troubles psychotiques des grandes figures religieuses fondatrices de notre société occidentale. Guillet fait état d'un article fort intéressant paru le journal américain de neuropsychiatrie et neurosciences cliniques (en PDF ici).


Les auteurs de cet article (Murray, Cunningham & Price, 2012) sont confrontés dans leur pratique à des patients psychotiques pensant posséder des dons surnaturels. Or, comme le rapportent les auteurs, comment expliciter au patient que ces symptômes psychotiques ne sont pas d'ordre surnaturel alors même que notre civilisation attribue un caractère divin à des symptômes similaires supportés par des figures religieuses révérées ? Ils se sont donc penché sur les cas d'Abraham, Moïse, Jésus et Saint-Paul dans le cadre d'un exercice diagnostique.



"Et pourquoi faire" diraient les Mudokons ?

Les auteurs espèrent ainsi que la vénération de ces figures religieuses se transfert en plus grande compassion et compréhension des personnes souffrant de troubles psychiques similaires.






N'en voulons pas (ou juste un peu) à Guillet qui s'est voulu plus psychiatre que journaliste sur Slate en titrant des diagnostics erronés et accrocheurs... Je rappelle au passage qu'un diagnostic psychiatrique reste avant tout un diagnostic médical. Un tel diagnostic est une démarche précise et scientifique d'autant plus quand les patients en questions sont décédés depuis quelques temps déjà !

Un travail très intéressant autant sur le plan historique, social, humain et médical ! Pour chaque figure religieuse sont recensés des signes ressemblant à un phénomène psychiatrique (hallucinations, idées au contenu paranoïaque, délires...) avec une liste d'hypothèse étiologique possible (épilepsie, peur etc.) et des pistes diagnostiques exhaustives. Pour Abraham sont retenues les pistes suivantes :
  • schizophrénie paranoïde
  • trouble psychotique non spécifié
  • bipolarité
  • trouble schizoaffectif (ce qui est un intermédiaire entre la psychose et le trouble de l'humeur)

Il est toutefois précisé que le seul fait d'avoir un rôle de leader dans une communauté et donc une ascendance sociale est une contre-indication diagnostique pour une psychose. Les auteurs, sur la base des théories de la distance sociale et des troubles de la communication, des modèles psychologico-politiques des relations entre meneurs et suiveurs et des comportements dans un groupe apportent des éléments de réponse à ce constat contradictoire. Ils concluent et souhaiteraient apporter une nouvelle sous-catégorie diagnostique de la schizophrénie ou de la psychose sous tendu par un continuum de la symptomatologie psychotique pour que ces figures religieuses puissent être comprise par la psychiatrie. Le très controversé DSM-V (2013) n'a pas franchi ce pas pour autant (j'en ignore les raisons).


Quoiqu'il en soit la sous-catégorie serait une variante de la supraphrénie (esprit supérieur) avec la persistance durant six mois ou plus des symptômes suivants :
  • système de pensée organisé et relativement délirant sans être bizarre pour autant
  • sentiment d'être grandiose
  • narcissisme souvent délirant
  • des hallucinations
  • un sentiment intense d'être surnaturellement sélectionné pour une mission
Chez :
  • une personne au niveau intellectuel moyen à supérieur
  • avec de fortes capacités de communication,
  • un niveau élevé de charisme (magnetic charisma),
  • la capacité de générer de l'empathie chez autrui
  • et la capacité d'entraîner, de convaincre des groupes ou des populations à suivre ses directives pour une période de temps indéfinie.
Le but de ces personnes serait en partie ou complètement basé ou inspiré par un processus de pensée psychotique. Cela produirait des pensées étroitement liées à des croyances sociales communément partagées sans être non plus raisonnable. Ces personnes devraient être habile dans le maintien de la cohésion sociale, être persuasif, influencer les autres et avoir un rang social élevé dans un tel groupe. Leurs croyances se manifesteraient dans la promulgation d'activités mortelle pour eux et le groupe et seraient donc à l'écart des normes sociales.
Seraient exclus les symptômes négatifs et de désorganisation ainsi que les troubles cognitifs.
Des troubles affectifs (dépression, anxiété, bipolarité) pourraient être associés sans pour autant affecté le fonctionnement de la personne mais plutôt être employé comme un moteur.
L'hyper-religiosité pourrait être associée fréquemment mais elle ne serait pas un critère nécessaire. Les auteurs font état d'autres système de croyances socio-politiques (extraterrestres, forces surnaturelles...).


Enfin, ces personnes devraient avoir une influence extraordinaire sur les autres et la société n'est-ce pas Dostoïevski ?

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Sources :
APA (2013). DSM-V. Washington D.C. American Psychiatric Association
da Caravaggio, M. M. (1594-1596). Le sacrifice d'Isaac [huile sur toile]. Florence: Galleria degli Uffizi.
da Caravaggio, M. M. (vers 1598). Narcisse [huile sur toile]. Rome: Galerie nationale d'art ancien.
da Caravaggio, M. M. (vers 1604). La Conversion de saint Paul sur la route de Damas [huile sur toile]. Rome: Eglise Santa Maria del Popolo.
Guillet, C. (2016). Jésus, Abraham et Moïse étaient-ils psychotiques ? Slate.fr
Holbein le Jeune (1521). Christ mort. Bâle.