Pour faire écho à
l'article de Clément Guillet (sur Slate.fr), un petit mot sur les troubles psychotiques des grandes figures religieuses fondatrices de notre société occidentale. Guillet fait état d'un article fort intéressant paru le journal américain de neuropsychiatrie et neurosciences cliniques (
en PDF ici).
Les auteurs de cet article (Murray, Cunningham & Price, 2012) sont confrontés dans leur pratique à des patients psychotiques pensant posséder des dons surnaturels. Or, comme le rapportent les auteurs, comment expliciter au patient que ces symptômes psychotiques ne sont pas d'ordre surnaturel alors même que notre civilisation attribue un caractère divin à des symptômes similaires supportés par des figures religieuses révérées ? Ils se sont donc penché sur les cas d'Abraham, Moïse, Jésus et Saint-Paul dans le cadre d'un exercice diagnostique.
"Et pourquoi faire" diraient les Mudokons ?
Les auteurs espèrent ainsi que la vénération de ces figures religieuses se transfert en plus grande compassion et compréhension des personnes souffrant de troubles psychiques similaires.
N'en voulons pas (ou juste un peu) à Guillet qui s'est voulu plus psychiatre que journaliste sur Slate en titrant des diagnostics erronés et accrocheurs... Je rappelle au passage qu'un diagnostic psychiatrique reste avant tout un diagnostic médical. Un tel diagnostic est une démarche précise et scientifique d'autant plus quand les patients en questions sont décédés depuis quelques temps déjà !
Un travail très intéressant autant sur le plan historique, social, humain et médical ! Pour chaque figure religieuse sont recensés des signes ressemblant à un phénomène psychiatrique (hallucinations, idées au contenu paranoïaque, délires...) avec une liste d'hypothèse étiologique possible (épilepsie, peur etc.) et des pistes diagnostiques exhaustives. Pour Abraham sont retenues les pistes suivantes :
- schizophrénie paranoïde
- trouble psychotique non spécifié
- bipolarité
- trouble schizoaffectif (ce qui est un intermédiaire entre la psychose et le trouble de l'humeur)
Il est toutefois précisé que le seul fait d'avoir un rôle de leader dans une communauté et donc une ascendance sociale est une contre-indication diagnostique pour une psychose. Les auteurs, sur la base des théories de la distance sociale et des troubles de la communication, des modèles psychologico-politiques des relations entre meneurs et suiveurs et des comportements dans un groupe apportent des éléments de réponse à ce constat contradictoire. Ils concluent et souhaiteraient apporter une nouvelle sous-catégorie diagnostique de la schizophrénie ou de la psychose sous tendu par un continuum de la symptomatologie psychotique pour que ces figures religieuses puissent être comprise par la psychiatrie. Le très controversé DSM-V (2013) n'a pas franchi ce pas pour autant (j'en ignore les raisons).
Quoiqu'il en soit la sous-catégorie serait une variante de la supraphrénie (esprit supérieur) avec la persistance durant six mois ou plus des symptômes suivants :
- système de pensée organisé et relativement délirant sans être bizarre pour autant
- sentiment d'être grandiose
- narcissisme souvent délirant
- des hallucinations
- un sentiment intense d'être surnaturellement sélectionné pour une mission
Chez :
- une personne au niveau intellectuel moyen à supérieur
- avec de fortes capacités de communication,
- un niveau élevé de charisme (magnetic charisma),
- la capacité de générer de l'empathie chez autrui
- et la capacité d'entraîner, de convaincre des groupes ou des populations à suivre ses directives pour une période de temps indéfinie.
Le but de ces personnes serait en partie ou complètement basé ou inspiré par un processus de pensée psychotique. Cela produirait des pensées étroitement liées à des croyances sociales communément partagées sans être non plus raisonnable. Ces personnes devraient être habile dans le maintien de la cohésion sociale, être persuasif, influencer les autres et avoir un rang social élevé dans un tel groupe. Leurs croyances se manifesteraient dans la promulgation d'activités mortelle pour eux et le groupe et seraient donc à l'écart des normes sociales.
Seraient exclus les symptômes négatifs et de désorganisation ainsi que les troubles cognitifs.
Des troubles affectifs (dépression, anxiété, bipolarité) pourraient être associés sans pour autant affecté le fonctionnement de la personne mais plutôt être employé comme un moteur.
L'hyper-religiosité pourrait être associée fréquemment mais elle ne serait pas un critère nécessaire. Les auteurs font état d'autres système de croyances socio-politiques (extraterrestres, forces surnaturelles...).
Enfin, ces personnes devraient avoir une influence extraordinaire sur les autres et la société n'est-ce pas Dostoïevski ?
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Sources :
APA (2013).
DSM-V. Washington D.C.
American Psychiatric Association
da Caravaggio, M. M. (1594-1596).
Le sacrifice d'Isaac [huile sur toile]. Florence: Galleria degli Uffizi.
da Caravaggio, M. M. (vers 1598).
Narcisse [huile sur toile]. Rome: Galerie nationale d'art ancien.
da Caravaggio, M. M. (vers 1604).
La Conversion de saint Paul sur la route de Damas [huile sur toile]. Rome: Eglise Santa Maria del Popolo.
Guillet, C. (2016).
Jésus, Abraham et Moïse étaient-ils psychotiques ? Slate.fr
Holbein le Jeune (1521).
Christ mort. Bâle.