vendredi 11 novembre 2016

Le deuil et l'oubli

"Il faudrait faire un bilan mémoire à M. C car il ne souvient plus qu'hier son épouse est décédée."

Je ne cacherai pas mon agacement quant à cette demande que j'ai déclinée. Il en va de soi. D'autant plus que la famille de cet homme a fait le choix de l'écarter des cérémonies funéraires. Mis de côté le bilan neuropsy, je me suis empressé de m'assurer que le travail de deuil puisse se réaliser chez lui. A mon grand étonnement, il a spontanément exprimé que son épouse était partie.

"Elle est où votre épouse ?
- Ben, elle est au cimetière !"

La situation me paraissait plus sereine, il se souvenait ! Pourquoi plus sereine ?
Ce qui est nécessaire pour débuter le travail de deuil est de se confronter à la réalité de la perte. Comment ancrer le réel dans l'imaginaire ? Il faut assister à la présentation du corps du défunt pour qu'un constat se fasse. Il faut assister aux cérémonies, la mise en bière et l'inhumation apparaissent les plus essentielles.

Il est une erreur naturellement bienveillante de préserver les plus anciens ou les plus jeunes de cette réalité. La crainte principale d'un tel comportement de protection est une appréhension des réactions que pourrait manifester celui qui est considéré comme le plus fragile.
C'est une erreur sur plusieurs points. La mort fait partie intégrante de la vie, c'est justement la présence de la mort qui constitue un moteur de la vie. Par exemple la cérémonie du baptême emploie l'eau comme médium. La symbolique de l'eau renvoie à la vie comme à la mort. Il ne faut pas oublier non plus que les plus anciens en ont vu d'autres (occupation militaire, migration, guerre, stress, morts violentes, conditions de vie difficile, travail non déclaré, agressions en tous genre, hyper conformité sociale etc.). Ils sont bien plus armés et bien plus sereins à l'idée de la mort que ce qu'on pourrait penser ! Quant aux plus jeunes, ils peuvent seulement penser la mort comme une absence ou un départ définitif entre 5 et 10. La position restera fondamentalement la même c'est à dire d'inclure les enfants aux rites funéraires mais un accompagnement psychologique est nécessaire sans exception ! Pour simplement le soutenir dans l'absence du défunt, que l'enfant ne soit pas seul avec des émotions qu'il pourrait avoir du mal à nommer.

Dire qu'untel est parti sans s'assurer du sens porté au verbe partir ne suffit pas car dans si l'on part, c'est pour revenir. Et là peut s'enclencher une cascade de troubles (opposition, dépression, solitude, abandon familial qui ne peut plus supporter le regard du survivant qui réclame le défunt et à qui l'on cache qu'il est décédé).
"Mais pourquoi ne revient-il pas ?"
"Qu'ai-je fait ?"
"Je l'attend, elle doit revenir."


L'homme qui se souvenait pouvait donc enclencher un travail de deuil car il avait fait confiance aux discours familial. Une chance pour lui ! Car un deuil bloqué ou compliqué ou pathologique ou impossible à réaliser est d'une autre paire de manche...

D'autrefois la réalité est trompeuse et très embarrassante... :
"On dirait qu'elle est morte.
-  Euh... elle n'est pas morte... elle dort. Voyez comme elle respire.
- C'est con hein mais les morts se ressemblent tous !"
Preuve que l'on peut rire de tout à tous les âges...

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Friant, E. (1888). La Toussaint. Nancy: Musée des beaux arts.
Millais, J. E. (1851-1852). Ophélie. Londres: Tate Britain.
Waterhouse, J.-W. (1888). The lady of Shalott.  Londres: Tate Britain.

jeudi 6 octobre 2016

La place du psychologue en institution

La place du psychologue dans l'institution est une question récurrente et éthique à laquelle je me soumets particulièrement en ce moment. Suite à des difficultés exposées en supervision et ayant trait à la demande institutionnelle et au risque d'y être instrumentalisé, j'ai trouvé dans un second temps un excellent support à la pratique. Il s'agit de l'article de Boyer-Vidal & Gremillet (2016) paru dans le dernier numéro du Journal des Psychologue (n°341). Cet article combiné aux éclairages de la supervision me parle particulièrement. Il y est question de la place que doit créer le psychologue en tenant compte de sa fiche de poste, des attentes du N+1 (le directeur), de la représentation du psychologue chez les équipes, chez les patients, du code de déontologie (qui soit dit en passant n'est pas légiféré) et de la ''méthode'' du praticien.


"C'est le bordel avec vous ! Vous n'êtes ni un soignant, ni un administratif !"
 

La place du psychologue est flottante d'où la difficulté de saisir ce professionnel mais aussi pour le psychologue lui-même de saisir la place la plus juste au moment donné en tenant compte des enjeux institutionnels dans lesquels il est embarqué. Ce n'est que le début mais aussi le but du jeu étant donné l'état actuel des choses.

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Boyer-Vidal, B. & Gremillet, C. (2016). Psychologue en institution: une place à créer. Le Journal des Psychologue (341).
Aïvazovski, I. (1852). Paysage côtier avec des pêcheurs et des navires à voiles. Londres.

dimanche 25 septembre 2016

Gastrostomie et trouble anxieux

Une gastrostomie datant de plus d'une décennie sur une patiente âgée. Cette acte chirurgical n'a pas été acceptée par celle-ci :

"Je croyais que ce serait provisoire. Si j'avais su avant l'opération que je devais porter des poches tous les jours, j'aurai refusé. Le chirurgien m'a dit que ce serait provisoire. J'aurai dû refuser et j'aurai préféré mourir que d'avoir à supporter ça."


Elle souffre d'un trouble anxieux généralisé qui se manifeste, pour ce qui est des symptômes signifiant, par une irritabilité, une tension musculaire, un trouble du sommeil et, pour ce qui relève de la clinique, des obsessions de vérifications, de nettoyage, une obnubilation de la pensée sur l'orifice artificiel, les poches et les sécrétions qui en sortent. Elle appréhende les émanations d'odeurs et a une consommation de poche démesurée car elle les change au moindre gonflement, à la moindre sécrétion.

"Je ne veux pas qu'on sente, j'ai peur que ça sente mauvais, que les autres s'en rendent compte."

Elle ne sort plus que pour s'alimenter à la salle commune après un check-up complet de sa stomie et s'être assurée d'avoir récolter tout ce qui devait en sortir (à partir de 11h).

"Je ne dors plus. Je reste dans ma chambre, je regarde la télé. Vous connaissez l'émission de... de chose... ? Ca me calme. La nuit je fais pareil. Vous voulez une pate de fruit ?
- Je ne voudrai pas que ça vous manque.
- Non, non prenez-en une. J'en mange la nuit, ça m'aide à me calmer.
- Justement...
- Prenez-en une autre."


En tant que thérapeute débutant, j'ai été perplexe de cette situation pendant un moment d'une part à cause de la stomie (c'est la première personne que je rencontrais avec un tel appareillage. Même s'il est caché, il restait au centre des préoccupations de la patiente). D'autre part, elle me renvoyait un sentiment d'impuissance. Je ressentais de la frustration car j'étais moi-même envahi par ses symptômes, tellement l'angoisse pouvait être palpable. J'étais sculpté par la patiente aurait dit une systémicienne. Cela s'est paradoxalement arrangé (sa situation et mon blocage) quand j'ai surpris la patiente dans un épisode d'attaque de panique...

Debout dans la salle de bain, elle ne parvenait pas à fixer une nouvelle poche quand les produits de sa digestion ont commencé à sortir. Elle était empreinte de vertiges et de nausées. Elle criait, appelait à l'aide. Les aides-soignantes ont accourues mais elle refusait leur aide. Toutes ses portes étaient ouvertes et elle ne concevait pas de les fermer. J'ai été contraint de la soutenir moralement, depuis le couloir en lui signifiant qu'elle n'était pas seule et qu'elle pouvait prendre son temps pour se 'préparer'.

C'est là que j'ai pris conscience de l'ampleur de la souffrance psychique et physique de cette patiente mais aussi de mon incompétence dans son domaine.

Heureusement que la supervision est là pour se sentir compris et soutenu dans sa pratique car le psychologue comme d'autres professionnels est fondamentalement seul.

La faculté ne forme pas à de telles situations, elle n'en a pas les moyens et il ne faut pas attendre d'un cursus universitaire à être paré pour la pratique. C'est le jeu en quelque sorte. Du coup, j'ai dû lire, m'autoformer à la psychosomatique. Mais concrètement, le Moi-Peau d'Anzieu n'apporte qu'un support théorique à la réflexion, le QSJ de Marty sur la psychosomatique de l'adulte est très théorique pour ne pas dire clanique ce dont je me méfie souvent...
Sur le net, je suis aussi tombé sur une publication (L'image corporelle, un concept de soin). Une synthèse d'un collectif d'infirmière spécialisée dans ce concept. Lointain concept vaporeux rapidement vu en TD de L3 ou de M1... TD désincarné de toute pratique... car la psychologie est souvent enseigné hors de son enclave corporelle en respect du dualisme cartésien.
Ce collectif d'infirmière a bien compris la potentielle souffrance psycho-corporelle des patients gastro-stomisés. Effectivement, il y a un déplacement corporelle d'une fonction cachée, contrôlée (sauf problème d'incontinence) et qui, après chirurgie devient visible et surprenant (dans le mauvais sens du terme).

Maintenant, reste à mobiliser du monde autour de cette dame...


"Ne fermez pas la porte en partant s'il vous plaît."

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Anzieu D. (1985). Le moi-peau. Paris: Dunod.

Bérard, L. (1913). Titres et travaux scientifiques [Réf. image MEDIC@ : med110133x106x10x0054
Fig. XXVIII. Pharyngectomie après trachéotomie et gastrostomie préventives]. Edition : Lyon

Beyeler, S., Bigler-Perrotin, L., Donnat, N., Jaggi, K., Jonniaux, S., Laroutis Monnet, R., Lataillade, L., Lei, J., Schaerer, G., Séraphin, M.-A., Tarteaut, M.-H., Thévenot, O., & Victorion, M. (2006). L'image corporelle, un concept de soins. HUG.

Lang, F. (1931). Peter Lorre dans le film "M le maudit" [photographie]. Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz (BPK).

Marty, P. (2014). La psychosomatique de l'adulte (7è ed.). PUF: QSJ?