Concrètement, je m'aperçois qu'un tel problème est latent de nombreuses situations dites conflictuelles dans la relation soignant-soigné et peut vêtir de nombreux apparats :
- agressivité du patient (propos insultant, attaque physique ou défense physique visant l'éloignement du soignant)
- plaintes continuelles du patient
- souhaits contradictoires avec la fonction du soignant
- désir de mort exprimé ou non
- repli sur soi
- non participation du patient lors des soins
- perte d'autonomie...
Etre confronté à cela sous-tend une adaptation du soignant face à une attitude vécue comme agressive car ne correspondant pas à l'axiome du soin. La relation devient ainsi compliquée, chacun se retranchant dans ses positions déclarant un état de siège mutuel. Si le climat perdure ou s'aggrave c'est à dire si le patient est suffisamment fort pour ne pas céder son territoire et son bout de gras, il est fait appel à un enchanteur, un paysagiste, un négociateur, un professionnel de la suggestion, de la communication, un régulateur, un salvateur, un rebouteux, un extra-terrestre... bref à un psychologue. Qu'est-ce que le corps soignant attend de lui dans un pareil cas ? La plupart du temps, une réponse toute faite, une solution et peut-être de conformer le patient à un idéal. Le psychologue fort d'un réalisme frisant le défaitisme est donc pris à parti entre des souhaits contradictoires, la volonté d'apporter un peu de sérénité dans les rapports humains, de porter le discours du patient récalcitrant à une équipe épuisée, usée qui ne sait plus quoi faire car la souffrance éthique est là au quotidien. Le psychologue est là entre deux parties en souffrance aigüe. Le lien entre elles est presque rompu.
Le psychologue rentre dans son bureau et commence à étudier la demande, ses tenants et ses aboutissants. Il va s'entretenir avec le patient qui n'en peux plus de vivre, s'est perdu quelque part dans le temps où il avait confiance en lui, où son sentiment d'efficacité personnelle était acceptable. Effectivement, une hospitalisation pour syndrome de glissement, dépression, bref une déchéance est arrivée mais lui aurait voulu rester chez lui, pour y finir ses jours. Il a donc été arraché de ce marasme confortable et a vécu ce déracinement comme un acte de violence. Le temps a passé et la question s'est posé que devons-nous faire de ce patient, célibataire endurci, sans descendance ? Une mise sous tutelle puis un placement en EHPAD est préconisé. Lui, était d'accord, de toute façon résigné et apathique.
"Je voudrai qu'on me foute la paix. Je n'ai pas envie de me lever le matin, je veux dormir tranquille. Je veux mourir, c'est finit pour moi."
Le psychologue est confronté pour la première fois à un patient qui exprime aussi clairement son détachement. Il se débat physiquement contre la vie en lui, bientôt 93 ans, une énergie incroyable et débordante. Le résistant de 39-45 est là. Un (insipide) MMSE à 28/30, c'est rare !
Le psychologue, éternel débutant, n'est pas plus avancé. Comment ce patient veut-il refuser ce qu'il a de plus précieux en lui ? C'est du sabordage ! Quel sens cela peut-il avoir ? Il retourne sa pulsion de vie contre lui-même, c'est un suicide camouflé. Ainsi, le psychologue est embarqué avec l'équipe dans un mouvement intolérable pour lui-même, et vit par procuration la frustration de l'équipe. Le psychologue monte sur les épaules de son idole. Que dirait la voix d'Ameisen, suave, délicieuse et rassurante ? Va chercher ! Dans son bureau, il ressort les avis publiés par l'ancien espace national de réflexion éthique sur la maladie d'Alzheimer (aujourd'hui EREMAND) et du comité consultatif national d'éthique (CCNE). Il se décide à organiser une réflexion éthique avec l'équipe dont les objectifs seraient de trouver un compromis entre les souhaits du patients et les souhaits des soignants, mais avant de comprendre la position de soignant, de comprendre le vécu du patient qui au fond n'accepte probablement pas sa perte d'autonomie et surtout son placement en EHPAD...
La réflexion est menée : la situation ne pose pas un si grand problème que cela. Depuis quelques temps, le patient prend des initiatives et s'ouvre avec plaisir à la communication (moment des repas). Finalement la situation s'arrange doucement, il est décidé d'adapter le plan de soin et de ne pas lui proposer une toilette complète en systématique, juste de se contenter d'une toilette intime quotidienne et nécessaire. Les deux camps ont finalement ouvert des portes et des liens se sont été créés pour un projet mutuel. Serait-ce du soignant-soignant ?
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Sources :
Ferrey, G, & Taurand, P. (2012). Oppositionnisme, négativisme et attitudes de refus du sujet âgé. Place du refus de soin. EREMA.
Quignard, E. (2011). Le refus de soins en gériatrie. EREMA.
Robert, H. (1797). Cascade sous un pont en ruine [huile sur toile]. Tours: musée des beaux-arts.
Taurand, P. (2010). Maladie d'Alzheimer et renoncement. EREMA.
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